Le Marcassin sautillant

Paru en novembre 2017

Prise de Porrentruy par Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard, et sa reconquête par le prince-évêque de Bâle, assisté de l’empereur germanique Rodolphe de Habsbourg.(1283

À la fin du XIIIème siècle, suite à la cession de la ville par le vieux comte Thierry de Montbéliard, Porrentruy est entrée bien malgré elle dans le giron du prince-évêque de Bâle. Or la petite cité ajoulote craint de perdre son identité romane face aux fonctionnaires germaniques du seigneur bâlois qui la pressurent de taxes. Les Bruntrutains trouveront un allié opportuniste en la personne du nouveau comte de Montbéliard, Renaud de Bourgogne. Celui-ci, ambitieux et belliqueux, redoute la montée en puissance de son voisin. Flanqué de son armée, il pénètre en Ajoie par surprise et prend la ville sous sa protection. Les premiers moments d’effarement passés, le prince-évêque se tourne vers son suzerain l’empereur germanique. Fortuitement, Rodolphe de Habsbourg avait à faire dans la région et il accourt à l’aide de son confesseur et ami. Cependant, attaquer une bourgade fortifiée s’avère ardu, d’autant que ruses, rancoeurs et trahisons foisonnent des deux côtés des murailles…

 

La page de couverture représente un ancien sceau de la ville de Porrentruy: un sanglier bondissant

 

Préface

Histoire et roman historique

Par ses romans historiques, Renaud de Joux trace une voie originale en s’insinuant dans les interstices incertains de l’Histoire. Fidèle à son pays natal, à l’ancien évêché de Bâle, il s’affirme en passionné, bien documenté, de l’histoire médiévale. Par là, il établit petit à petit une œuvre littéraire ample et digne d’intérêt, en un genre souvent déprécié par les acteurs de l’histoire professionnelle. Roman historique auquel l’historien a d’ordinaire de la peine à accorder la place qui lui revient dans la fabrication d’une mémoire collective.

La courtine de Bellelay, lieu de l’enfance, n’est jamais loin chez l’auteur, quand elle ne fait pas le noyau même de l’intrigue. Dans Le Clocher de l’abbaye (2012), Renaud de Joux utilise les incertitudes liées à la fondation et à la longue construction de l’abbaye prémontrée pour dresser un panorama de la vie quotidienne au XIIe siècle. Dans Le Fils du tanneur (2012), l’auteur élargit sa perspective, sans abandonner Bienne ou Porrentruy, et emmène son lecteur sur les routes de l’Europe aux temps héroïques de la Confédération des Huit Cantons, dramatisant sa trame par un meurtre sorti de son imaginaire foisonnant dans le temps où sévissait la terrible peste du milieu du XIVe siècle. Les secrets du cloître (2014) utilisent à nouveau le suspense propre au roman policier pour évoquer une autre période charnière, celle qui conduit du Moyen Âge à la Renaissance.

Je laisse le plaisir de la découverte au lecteur et à la lectrice de son quatrième roman, ce Marcassin sautillant dont Renaud de Joux définit lui-même la source historique ambitieuse, qui associe intelligemment la petite et la grande histoire : « Prise de Porrentruy par Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard, et sa reconquête par le prince-évêque de Bâle, assisté de l’empereur germanique Rodolphe de Habsbourg (1283). »

On attendrait d’un historien sourcilleux qu’il vérifie les dires du romancier, qu’il dise le vrai, le vraisemblable et le faux, ce que l’auteur établit d’ailleurs lui-même à partir de ses sources dans les annexes de chacun de ses romans, un peu à la manière d’une Marguerite Yourcenar préférant ne pas laisser à autrui, aux critiques, le soin de présenter ses œuvres. Voyez ces précieux Mémoires d’Hadrien ! Or, je ne suis pas médiéviste et, malgré la fréquentation de toute une vie de l’histoire de cet étroit pays que fut le « Jura historique », l’expérience me montre que la retenue plus que l’affirmation péremptoire reste bonne conseillère. À la lecture du texte, je m’étais permis de faire remarquer à l’auteur que certaines actrices de l’intrigue, des bourgeoises de Porrentruy notamment, jouaient peut-être un rôle plus grand que l’on pouvait s’y attendre au vu de mes connaissances du sujet. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir quelques jours plus tard dans le dernier numéro du Jura français (novembre – décembre 2016) un tableau de la femme médiévale franc-comtoise, bien éduquée, forte et disposant de véritables pouvoirs, certes dans les couches élevées de la population, description bien éloignée de l’image que je gardais de cette époque trop facilement décriée, pour le moins sous-estimée.

À propos des rapports souvent conflictuels entre histoire et roman historique, il me revenait cette réflexion d’un de mes amis romanciers, il s’agit de Roger-Louis Junod. Elle m’avait troublé. « André, à partir des deux premières pages de ton ouvrage (en l’occurrence, Des Suisses dans la République des Lettres. Un réseau savant au temps de Frédéric le Grand) tu pourrais facilement bâtir un roman ! » J’en avais été remué au point de me demander si je n’étais pas en train de trahir le métier d’historien…

Le hasard m’a placé opportunément devant la découverte presque simultanée du tapuscrit du Marcassin sautillant et des actes d’un colloque scientifique dévolu à la même période et au même champ spatial, Le Concile provincial de Besançon, 1281 (Vy-lès-Filain, Éditions Franche-Bourgogne, 2015). Des historiens, austères recenseurs des faits bruts, y confirment le recul de l’autorité souveraine et l’affrontement des pouvoirs locaux dans une chrétienté rénovée dans les diocèses de Lausanne, Bâle et Besançon. Ainsi, on découvre la difficulté à prêter le serment de soumission à son métropolitain par l’évêque de Bâle, Henri d’Isny, serment fait « à l’Isle-sur-le Doubs, près de l’abbaye de Lieucroissant […] parce que ce n’était pas sans danger pour notre personne et nos affaires, ni pour notre très sérénissime seigneur, Rodolphe, par la grâce de Dieu roi des Romains toujours auguste, ni pour les affaires de notre Église de Bâle, que nous aurions pu accéder en sécurité à la cité de Besançon ». Aussi l’impeccable article de Jean-Claude Rebetez, « De Henry d’Isny à Pierre d’Aspelt. Le diocèse de Bâle dans l’ombre des Habsbourg » sera-t-il l’indispensable complément pour celui qui, au-delà de la narration haute en couleurs de Renaud de Joux, voudrait retourner aux sources et seulement à elles, sous la férule compétente du chartiste.

Et puis, je me suis souvenu de mon enthousiasme pour maints écrivains qui m’ont conduit à me vouer à l’Histoire ou à reconnaître parfois la supériorité de l’imaginaire créateur sur la relation historique. Pour ma vocation d’historien, je pense à tous ces « Dumas » de mon enfance, en particulier au Collier de la Reine, lecture qui troublait une puberté naissante, à cet emballement pour Ange Pitou qui aurait pu conduire à l’action « révolutionnaire ». Pour l’évocation me vient spontanément à l’esprit Août 14 de Roger Martin du Gard, plus suggestif pour un adepte d’une histoire au ras du sol que toutes les analyses que j’ai pu lire sur l’enchaînement fatal des alliances entre Puissances, prémices de la Première Guerre mondiale. Ou encore la première partie des Illusions perdues d’Honoré de Balzac, l’imprimerie des Séchard père et fils et la vie sociale à Angoulême, modèle rarement égalé d’une histoire globale telle que je l’ai rêvée. L’historien peut toujours soumettre la subjectivité du créateur au contrôle scientifique ; pourra-t-il en approcher les qualités narratives ?

Je me vois finalement conforté dans cette reconnaissance tardive du roman historique par un paradoxe curieux. L’historien se montre généralement très sévère envers le roman historique quand il empiète sur son champ d’étude ; mais il doit avouer bien souvent que c’est par là qu’il est venu à l’histoire. Et c’est ce dont conviennent Philippe, Chantal, François ou encore Jean-Daniel, tous historiens reconnus de Suisse romande, qui, quand on leur demande de parler d’un livre qui a marqué leur jeunesse et leur formation, citent régulièrement des romans historiques, Les Trois mousquetaires, L’œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar et le Melnitz de Charles Lewinsky, Le Pont sur la Drina, d’Ivo Andric, ou, pour le dernier, dit son admiration pour le Napoléon de Chateaubriand, cet arrangement des Mémoires d’Outre-Tombe.[1]

André Bandelier, historien

Peseux, février 2017

[1] Exemples tirés de Ouvrir un livre, ouvrir une histoire, Neuchâtel, Éditions Alphil, 2016.


 

Présentation de l’ouvrage par l’auteur de la préface, M. le professeur André Bandelier

Vernissage du Marcassin sautillant