La nourriture au Moyen-Âge

 

A part l’utilisation d’épices et la quantité servie, la cuisine des nobles se distingue de celle du peuple, naturellement par des aliments nettement plus rares donc plus chers, mais aussi par le mode de cuisson.

Les nobles cuisent leur viande à la broche (souvent après l’avoir blanchie) alors que les paysans la mangent en ragoûts ou en pâtés.

La noblesse consomme peu de légumes, alors qu’avec les céréales, c’est un des aliments de base du peuple.

Les aliments sont hiérarchisés selon leur plus ou moindre grande proximité à Dieu, dans un univers que les philosophes conçoivent comme ordonné verticalement. Tout en haut de cette échelle de valeur figurent les oiseaux qui se meuvent dans l’air, le plus élevé des quatre éléments. Tout en bas, on trouve les plantes qui viennent de la terre, en distinguant aussi les légumes poussant sur une tige, tels choux ou pois, et ceux qui partent de la racine (épinards, salades). Les racines elles-mêmes, comme carottes et raves, viennent seulement ensuite car elles poussent sous la terre, ainsi que les bulbes – oignon, poireau et ail – qui sont de loin les aliments les plus méprisés. Les élites consomment ainsi beaucoup de volatiles et aussi des fruits, qui poussent en hauteur et conviennent donc parfaitement aux classes élevées de la société.

En revanche, elles s’abstiennent à peu près complètement de légumes, laissés aux paysans. On représente souvent les ermites se nourrissant de « racines », ce qui, en fait, signifie qu’ils ne négligent pas les parties les plus nourrissantes de végétaux, celles qui poussent en terre : les carottes, les navets, les oignons, les betteraves, sans oublier les truffes.

 

Les épices sont des parfums et ne servent pas à « pimenter », on les utilise beaucoup car on croit en leurs vertus diététiques en favorisant la digestion.

Produits de luxe, elles permettent une différenciation sociale. Elles se vendent généralement séchées et réduites en poudre. Délayées dans du vin, du vinaigre, du verjus, ou du bouillon, les épices sont ensuite mélangées au reste du plat à la fin de la cuisson pour garder les parfums et le colorer.

Chez les nobles et les riches, on sert souvent des « épices de chambre » (ainsi nommées parce qu’on passe dans une chambre à part pour les déguster) après le dessert ou « boute-hors ». Ce sont des épices marinées ou confites dans du sucre ou dans du miel: gingembre, coriandre, fenouil ou anis confits, pignonat ou nougat de pignons, codognat ou pâté de coing, noisettes ou pistaches confites.

Les épices de chambre sont réputées faciliter la digestion : dragées et confitures sont aussi bien des médicaments que des confiseries. Les épices confites sont souvent préparées par les apothicaires et données aux malades.

Les couleurs sont particulièrement importantes et mises en valeur par la cuisine médiévale. Elles figurent souvent dans les recettes car chaque mets et chaque sauce doit avoir une teinte qui permet son identification : le civet doit être brun, conféré par la cannelle, telle sauce doit être verte (dont la couleur symbolise la Nature et la fertilité de la terre) obtenue par le persil, l’oseille et la sauge; le blanc, associé à la pureté et l’innocence, s’obtient avec des aulx ou du gingembre ; le jaune, qui signifie sagesse et spiritualité, avec des œufs ou du safran (de l’arabe : « zafran » : jaune) ; le rouge avec du tournesol ; le rose avec des gousses d’ails écrasées, de la poudre d’amande, de la mie de pain et du jus de raisin ou par l’orcanette (petite plante méditerranéenne qui pousse dans les sables littoraux, et dont la racine rouge était également très utilisée en teinturerie) et le bleu avec du jus de mûres au vinaigre, parfumé au gingembre et épaissi à la poudre d’amande.

Certains plats pouvaient même être teintés en rouge vif au moyen du « sang-dragon », sécrétion résineuse d’un palmier de l’océan indien.

Le pain est avec les fromages, les racines et les fruits, la base de la nourriture paysanne. Ils ont la forme d’une grosse miche ronde, d’une boule (d’où vient le nom de boulanger) ou d’une couronne ou de petits pains individuels. Composés de farine blanche pour les nobles, ils sont saupoudrés de cumin ou d’anis. Les pains ratés servent à épaissir les sauces. On utilise des grandes tranches épaisses et rassies, nommées « tranchoirs », qui servent d’assiettes et de support aux viandes en sauce, que l’on jette ensuite aux chiens, parfois aux pauvres, mais non pas aux serviteurs, avec les restes.

La profession de boulanger est très réglementée et un boulanger pris en train de tromper un client peut être attaché à un traineau et tiré dans les rues avec son pain pendu à son cou.

La plupart des sauces qui accompagnent les viandes, volailles ou poissons grillés sont très acides. Ces plats en sauce sont acidulés par un mélange de vin et de vinaigre, ou de vin et de verjus (jus de raisin vert) ou de vin, de vinaigre et de verjus. D’autres sauces sont dites aigre-douces lorsqu’on ajoute à ces sauces du sucre (le plus souvent du miel) ou des fruits (raisins secs, pruneaux…)

Le beurre est quasiment absent des recettes ; les nobles et les riches le réservent aux paysans. On consomme énormément l’huile d’olive, le lard et le saindoux, même si les deux derniers sont interdits pendant les jours maigres (jours où l’Eglise interdit de manger de la viande et des produits d’origine animale, pendant environ 150 jours par an !). Ils sont alors remplacés par l’huile d’olive.

Les poissons, lorsqu’ils ne sont pas cuits à l’eau, sont frits avec de l’huile d’olive, comme tout ce qui est « viande et potage de carême » : légumes ou tartes.

Tartes, tourtes et pâtés sont la spécialité commune du cuisinier (pour les viandes) et du pâtissier (pour la croûte et parce qu’il possède le four que n’a pas toujours le cuisinier).

L’oubloyer (ou oublieur) se spécialise dans les gâteaux et les oublies (petites pâtisseries et bonbons). Les pâtés permettent de conserver les sucs et les parfums des viandes mais sont aussi utilisés comme « papier cadeaux », qui cachent aux yeux des invités des animaux, parfois entier.

En Europe la viande la plus courante et donc la plus utilisée est le porc et la charcuterie issue de celui-ci comme : le jambon, les saucisses, les saucissons, les pâtés, le lard… Le sanglier, le cerf, le chevreuil appelés gros gibier sont réservés aux nobles, les lièvres et les lapins de garenne au peuple. Les faisans, cygnes, aigles, paons, ou autres oiseaux de prestige sont servis avec leurs plumes et décorés. Ils figurent sur les tables des nobles qui consomment aussi des poulardes, des oies, des pintades, des canards… Les perdrix, pigeons, bécasses, cailles ou petits oiseaux sont consommés par le petit peuple. Les poules, les vaches ou les moutons sont élevés pour les oeufs, le lait ou la laine, mais sont aussi servis occasionnellement en ragoût, farcis, en croûte ou en terrine.

On ne mange pas de bœuf car il est employé comme animal de trait.

La consommation de poisson est encouragée par l’Eglise un jour sur trois. En période de carême, la viande, les œufs, et le beurre sont interdits, on les remplace donc par des poissons frais comme les soles, turbots et les autres poissons nobles et par les carpes, anguilles, perches, lamproies et brochets, abondants dans les étangs des couvents et des châteaux. On élève des truites et des saumons dans les viviers, privilège des nobles. Les repas médiévaux ont parfois des poissons salés ou fumés comme le hareng, la morue, le maquereau ou même la baleine. On consomme aussi des escargots, des grenouilles ou des écrevisses.

Les poireaux, navet, choux, bette, épinard, gourde (courge européenne), cresson, toutes sortes de salades et d’herbes potagères, châtaigne sont utilisés. La carotte se rapproche du panais, elle est blanche ou jaune. Les légumineuses sont abondantes et donc très employées : pois, pois chiche, fève, lentille, fasole et vesce. La mongette, appelée aussi haricot cornille ou haricot dall’ochio, est une sorte de haricot européen qui est consommé (alors que le haricot, venant d’Amérique, n’est pas encore connu).

Les nobles consommaient peu de fruits, les fruits étaient donc consommés en grande partie par le peuple. On consommait les fruits de la région et de la saison à cause de problèmes de fraîcheur et de conservation. On importait les dattes, les figues, les oranges, les citrons, les abricots, les pêches (qui ont été implantés dans les régions les plus chaudes après les croisades).

Les pommes, les prunes, les raisins et les poires étaient cultivés dans les jardins, on récoltait les fraises, les framboises et les mûres en forêt. Le blé, ainsi que son ancêtre l’épeautre, le millet, l’avoine et le riz, produit de luxe provenant d’Asie, d’Espagne ou d’Italie sont les céréales les plus utilisées à cette époque. Les légumes et la viande, ou le poisson, ou la volaille sont mangés séparément. Il n’y a pas de recettes de viandes ou poissons avec des légumes à part la choucroute, spécialité d’Alsace.

Bien qu’il semble que les cuisiniers médiévaux préféraient les épices, ils utilisaient aussi les plantes aromatiques ou bonnes herbes comme l’aneth, l’anis, le basilic, la ciboule, le cumin, la coriandre, la livèche, la menthe, l’origan, la roquette, le persil, le romarin, la sarriette ou sauge… ainsi que des plantes aromatiques, aujourd’hui peu usitées comme l’aurone, l’hysope, la rue, le sénevé (graines de moutarde). Il est à noter que le thym n’est pas utilisé dans la cuisine médiévale alors qu’il pousse à l’état naturel dans toute l’Europe du sud, on lui préfère le serpolet.

Avant chaque repas les invités devaient faire leurs ablutions en utilisant une aiguière, cruche à long col, et un bassin pour recueillir l’eau. La table servant au repas était le plus souvent une simple planche avec des tréteaux (d’où l’expression : « dresser la table » ; jusqu’à la fin du XVème siècle, où apparaît la table à quatre pieds).

A la campagne, les gens mangeaient le plus souvent sur leurs genoux et parfois, sur un petit meuble de rangement ou un coffre. Les sièges et les bancs étaient très utilisés en ville et les plus riches disposaient de fauteuils à accoudoirs.

Chez les plus aisés on utilisait des nappes blanches en lin, parfois brodées et la serviette de table était réservée aux riches, surtout bourgeois. Le couteau servait comme de nos jours à couper le pain et la viande. La cuillère servait à manger les potages, fréquents. Ces deux ustensiles se retrouvaient dans toutes les classes sociales. (La fourchette n’existait pas au Moyen Age). Le gobelet et la coupe à boire étaient très répandus, ils étaient individuels chez les plus riches et les pauvres partageaient une coupe pour toute la famille. Ils pouvaient être en bois creusé, en étain ou en argent, sertie de pierres précieuses. Les plats qui recevaient les aliments sur la table étaient en étain, en argent, ou en bois et même parfois des sortes de pain à croûte dure, sans mie, partagés à deux, comme les coupes et gobelets. Ils pouvaient être très simples, adaptés au nombre de convives ou assortis. Ils prenaient parfois des formes très particulières pour les animaux à plumes comme le héron, le paon ou la grue. Chaque instrument de cuisine permettait de déterminer les différents modes d’alimentation des classes sociales aussi bien en ville qu’à la campagne.

Le lait est généralement peu consommé. Cela résulte de représentations négatives qui sont associées au lait. Cet aliment fait en effet l’objet d’un certain mépris de la part des couches sociales aisées. En premier lieu sa consommation quotidienne est perçue, à l’instar des légumes, comme une marque de pauvreté, et plus encore, comme le signe du caractère « arriéré » de la population.

C’est l’aliment de l’enfant, un être « dépendant » et dépourvu de force physique. Les médecins accusent le lait d’affaiblir les adultes sains, de ronger les dents et d’occasionner les caries, voire de provoquer la lèpre. Cet aliment n’est indispensable qu’aux nouveau-nés et aux jeunes enfants, voire aux vieillards affaiblis.

Le vin est partout consommé, et le vin blanc est préféré au rouge, de ce goût particulier qu’ont les gens pour les mets acides. Grâce à l’optimum climatique, à la grande demande et au goût particulier des gens de l’époque pour les aliments acides, la vigne est plantée partout : en Angleterre, en Hollande et même en altitude.

Où on ne produit pas de vin, on consomme du cidre ou du poiré. Et partout de la cervoise d’abord, puis de la bière

Bernard de Clairvaux, le « père » des cisterciens, a fustigé la gastronomie dans un prêche fameux: »Les cuisiniers mettent tant d’art dans leurs préparations, qu’on désire quatre ou cinq plats de suite, sans que les premiers fassent tort aux derniers, sans que la satiété diminue l’appétit. Nous dédaignons les aliments simples, tels qu’ils sont sortis de la main de la nature, pour les mélanges les plus bizarres ; et la gourmandise, au lieu de se contenter des choses que Dieu nous offre, est excitée par une savante combinaison de saveurs. Abstraction faite des autres mets, peut-on dire de combien de façons les œufs sont transformés et tourmentés ; quelle ardeur on met à les bouleverser, à les dénaturer, à les liquéfier, à les durcir ou les réduire ? On les sert tantôt frits ; tantôt rôtis, farcis, brouillés ; on prend soin de donner aux aliments un aspect agréable, afin de flatter la vue en même temps que le goût ; et la curiosité n’est pas encore assouvie, lorsque l’estomac témoigne énergiquement de sa plénitude… »

Le jeûne est fort ancien dans le christianisme : Jésus lui-même, selon les Evangiles, ne l’a-t-il pas pratiqué pendant 40 jours et 40 nuits au désert ? Il s’agit d’un acte de pénitence, que l’Eglise peut d’ailleurs imposer aux fidèles qui ont commis de graves péchés. Il est obligatoire lors des périodes de préparation aux grandes solennités religieuses, où l’on doit vivre à la fois sobrement et chastement, ces deux formes d’abstinence étant étroitement associées dans l’esprit des théologiens. Mais jeûner pendant plusieurs semaines n’est pas possible. C’est pourquoi l’on autorise un repas qui doit être unique et se prendre au coucher du soleil. Durant le moyen-âge, l’heure de ce repas théoriquement unique se déplace progressivement vers le milieu de la journée.

Dans les monastères, on prend l’habitude d’interrompre des après-midi restés bien longs par une légère collation, appelée ainsi d’après le texte pieux qu’on y lit à cette occasion (les Collationes de Jean Cassien).

Le jeûne correspond d’ailleurs à une période creuse de l’année où les provisions s’épuisent, alors qu’on n’a pas encore beaucoup de travail, donc peu faim. Juste avant, il faut terminer les salaisons et fumaisons de la Saint-Martin, ce qui donnera naissance aux ripailles de mardi gras (puis de carnaval). On s’empresse aussi de consommer à la cuisine les provisions périssables soumises à l’interdit, et les traditionnels beignets de carnaval, faits à base d’œufs et de graisse, sont les savoureux vestiges de ce qui a été jadis pure nécessité.

Le jeûne consiste surtout à se priver de certains aliments, essentiellement la viande et les graisses animales, ainsi que, selon les époques ou les lieux, les laitages ou les œufs : les jours où ces restrictions s’appliquent peuvent donc être qualifiés de « maigres ». Le poisson, dont la nature froide interdit de déclencher l’ »incendie de la luxure », paraît tout indiqué comme nourriture d’abstinence. Il est possible qu’ait joué aussi sa fonction symbolique dans le christianisme primitif ; en ces temps de persécution, le motif du poisson était le moyen caché de montrer le Christ, parce que le mot Ichtus (poisson, en grec) rassemble les initiales des termes grecs composant la formule : « Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur » (Iesous Christos Théou Uios Sôter).

Depuis les premiers siècles du christianisme, l’Eglise a progressivement défini les circonstances où les chrétiens doivent s’abstenir de certaines nourritures. Destiné à préparer les fidèles à la fête majeure célébrant la Résurrection, le carême (du latin : quadragesima, c’est-à-dire période de 40 jours) commence en Occident au milieu de la septième semaine avant Pâques, le mercredi dit des Cendres. S’y ajoute le vendredi – et souvent le samedi – de chaque semaine ; les dévots jeûnent aussi le mercredi. L’abstinence s’applique lors des veilles de fêtes, qui peuvent être plus ou moins nombreuses selon les diocèses. Enfin, au début de chaque saison de l’année (les « quatre-temps ») quelques jours sont jeûnés. Au total, c’est entre 100 et 200 jours par an (selon les années, les lieux et la piété de chacun) que l’on ne peut manger ce que l’on désire, soit entre le quart et la moitié de l’année. Toutefois les rigueurs du carême sont bien moins grandes pour les riches qui se font alors servir des poissons frais, fort coûteux, et les pauvres, qui doivent se contenter de harengs fortement salés, de purée de pois et de soupe claire.

Echapper au carême n’est permis qu’aux jeunes enfants. Les malades peuvent aussi recevoir le « conseil de dîner par nécessité urgente », le danger d’une mort rapide par affaiblissement l’emporte ici sur les rigueurs de la loi, et le même raisonnement s’applique bien évidemment en cas de famine.

De manière plus subtile, certains animaux, parce qu’ils semblent tenir à la fois de la viande et du poisson, sont admissibles en carême. C’est le cas du castor, amphibie, dont la queue, qui reste dans l’eau, est assimilable à du poisson : rien d’étonnant à ce qu’il ait pu jouer un rôle dans la nourriture des moines qui sont, eux, soumis à une abstinence perpétuelle. Quant à la bernache, petite oie sauvage d’Arctique qui hiverne sur les côtes de la mer du Nord, on la croit née par génération spontanée, à partir d’un arbre d’où elle tombe à l’eau, ou bien encore à partir des coquillages formés sur le bois en putréfaction qui flotte dans la mer : ce volatile réussit donc l’exploit d’apparaître au choix comme un fruit ou comme un fruit de mer !